Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

samedi 7 mai 2011

SylGazette Bestofe : OUVERTURE FACILE (2009)



Messieurs Madrange, Herta, Fleury, Michon et consorts, si vous me croisez, passez votre chemin.
La haine sourde qui monte en moi à votre endroit finira par exploser inéluctablement.
Il y a trop longtemps que je vous maudis, éructant des imprécations en cuisine lorsque les invités s’impatientent, leur ventre affamé jouant les Beethoven dans l’obscure clarté du jour finissant (je reçois peu au déjeuner).
Je sais d’avance, en saisissant la plaquette de jambon supérieur-au torchon-à l’étouffée ou toute autre de vos industrielles productions, qu’une lutte sans merci va se jouer sur le plan de travail entre l’objet issu de votre sadisme et moi, innocente victime de vos délires technologiques plastifiés.
Il faut déjà être informé que la date limite inscrite sur votre emballage maudit est en soi une tromperie, car sitôt le produit ouvert il faudra le consommer le plus rapidement possible, même et surtout si vous êtes seul à devoir vous taper l’offre spéciale 6 tranches + 1 gratuite, sous peine de découvrir que la jolie couleur rose qui vous aguiche au rayon frais a viré au bleuâtre à la vitesse d’un Airbus au décollage.
Il faut, me souffle un ami pour lequel l’espace dédié aux préparations culinaires n’a aucun secret, « filmer » le produit ouvert ou le placer dans un contenant hermétique.
Ce à quoi je rétorque que la faim nous tenaillant, le seul et logique réflexe est de placer le produit dans son emballage souvent « refermable » (mais c’est plus cher et pas dans le dico) dans le réfrigérateur sensé conserver les aliments.
Mais l’ignominie se sera produite bien avant cette phase « conservation ».
La cruauté des concepteurs de votre jambon sous poly-quelque chose leur a fait apposer sur icelui une mention d’apparence enthousiasmante (ah, que ne fait-on pas de nos jours, se dit-on, naïf !) : 
ouverture facile !
Alors là, à froid, je me gausse, voire ricane ; au moment de l’acte crucial qui consiste à extirper la chose de son plastoc, c’est une autre affaire.
Prévenu, à force, du drame qui va se jouer immanquablement, je mets en place, in-petto, un véritable plan, allant même jusqu’à psalmodier : « mon Dieu, je ne crois pas en vous, mais faites que l’ouverture soit d’une simplicité biblique, que je soulève à peine l’onglet rouge, là, en bas à droite, et que la fine pellicule se détache, oh oui, merci d’avance pour le miracle Allah, Jéhovah, Vishnou, Schubert, truc ! »
Eh bien, en vérité je vous le dis, nada, rien, waloo (prononcer oualou) : à tous les coups, pas une fois sur deux, hein, ça veut pas !
L’expérience de la vie aidant, on a longuement examiné le produit, parfaitement au courant que, dans certains cas, pas forcément spécifiés d’ailleurs, mais ces salauds n’ont pas que ça à faire, le paquet a été pourvu d’une languette qu’il faut casser pour saisir la membrane fatale.
Quand la languette est absente, on identifie le coin à soulever à un petit poinçon en relief qui nous dit « c’est là, vas-y, soulève si t’es un homme ! »
C’est à cet instant, et nous vous prions d’éloigner les jeunes spectateurs du petit écran, que le drame se joue : rien, le film reste soudé à son support comme une arapède* à son rocher antibois !
L’optimisme naturel qui nous meut d’ordinaire fond comme Magnum ® au soleil, on s’acharne, on sue, on s’échine du gras du pouce.
En vain.
Dans le salon, les invités, inconscients de la tragédie, se sont servis leur quatrième pastis et on n’a même pas eu un seul Prinegeulsse : la vie est dégueulasse, et merde !
Vaincu, fébrile, on saisit un couteau, jamais le bon, ou des ciseaux, ou une machette et l’on attaque cette saloperie, se blessant bien sûr dans l’urgence de la situation.
A la jointure du pouce et de l’index le sang coule abondamment, inondant du même coup le jambon enfin dévoilé dans sa totale nudité, on essuie, discrètement croit-on, au moment que ce con de X choisit pour entrer dans la cuisine : « tu peux me passer des glaçons, s’te plaît ? Oh, putain, qu’est-ce-que tu t’es fait ? »
On sourit des « mais non, c’est rien du tout » en contenant sa rage et sa douleur sous le jet d’eau froide, achevé par les « j’ai une de ces dalles » qui proviennent de l’autre bout du couloir.
Pendant ce temps, les quenelles de brochet sauce Nantua ont eu le temps de se calciner dans le four et les pâtes de se transformer en amas visqueux impropre à la consommation, sauf, peut-être pour un "jeune" qui les noiera de ketchup et les accompagnera de boisson gazeuse sans gaz, car voyez-vous, les bouteilles en plastique…
Mais ça, c'est une autre histoire.

* Arapède : coquillage fermement arrimé à son support.
Par extension, se dit d'une personne "collante".


Pensez à revêtir la tenue appropriée.


Aucun commentaire: