Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mardi 30 mars 2010

Identification d'une femme

 Tatiana Gousseff

Elle a fait tous les "petits boulots", vécu les pires humiliations infligées par ces petits patrons véreux qui pullulent aux pires périphéries des grandes métropoles, Porte de Clignancourt ou ailleurs, là où on plonge ses mains dans des bassines de poulet reconstitué destiné aux agapes d'une convention minable (ou à KFC ?).
Elle a accumulé 120 kilos de dépit, se condamnant à n'être qu'une intermédiaire dans un bordel glauque des beaux quartiers, cherché la rédemption dans un stage d'endurance là-bas, au Canada, bref, elle a vécu une vie de merde, celle d'une femme moyenne à laquelle, pourtant, nous ressemblons tous.
Adaptée d'une pièce créée en 95 par Claudia Shear sous le titre "Blown sideways trough life", cette "Vie en biais" a trouvé son interprète idéale en Tatiana Gousseff qui en donnait, hier soir, une première démonstration à la Pépinière Théatre, salle en cocon ad-hoc pour ce genre de spectacle où la proximité avec l'interprète doit être totale.
Il s'agit ici d'une réelle performance d'actrice que l'on peut rapprocher, sur la forme (le monologue) de cette "Madame Marguerite" qui fit les grandes heures d'Annie Girardot ou de la Master Class jouée naguère par Fanny Ardant et Marie Laforêt (je ne suis pas folle, vous savez !).
En l'occurrence, la "performance" n'est jamais aveuglante, clinquante, jamais sur le mode "je veux un Molière et je l'aurai" : non, Tatiana évite brillamment cet écueil, et même les outrances qui font irruption dans les vies les plus "ordinaires" ont ici la simplicité pour vertu première.
On atteint le grand moment de théâtre quand la comédienne, couchée à l'avant-scène interpelle les spectateurs pour lui dire qu'elle n'a rien d'un "ovni", et que nous sommes tous des Tatiana (car, intelligence dès la conception, elle porte le personnage jusque dans l'état-civil).
On n'assiste pas ici à l'un de ces "one woman show" qui encombrent, du meilleur et plus souvent au pire, les scènes hexagonales : on entre au cœur d'une vie de femme avec ses joies dérisoires et sa quête d'un bonheur impossible, car vraiment "mal barrée".
On en sort heureux pour la comédienne, et bouleversé d'avoir ri et pleuré avec elle.
So long.

Tatiana lira ce billet, je lui offre en viatique ce portrait de "la" Magnani dont j'avais visité l'hommage rendu par les romains lors de l'une de mes escapades dans le Lazio.
Elle n'a pas les pires modèles qui soient.

Anna Magnani

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