Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mercredi 26 octobre 2011

Affinités électives

Douce chaleur chez l'ami B. qui me recevait dans sa tour (qui n'est pas d'ivoire) en cette rive gauche d'écrivains et d'hommes d'état (oui, c'est à deux pas de chez L.Jospin que B. croise fréquemment faisant ses courses).
Le prétendument "austère" Jospin sait aussi s'amuser : avec des amis, il passe des soirées à chanter des chansons françaises dont les textes sont soigneusement classés dans un dossier spécial que j'ai eu entre les mains pour m'en servir en joyeuse soirée au bord d'un lac avec des amis que nous avons en commun ; comme quoi la théorie des 6 degrés de séparation tient la route !
Lundi donc, chez B., tout là-haut dans ces anciennes parties d'immeubles cossus destinées autrefois aux domestiques, dans l'espace exigu, chaleureux, nous partageâmes très bons vins et nourriture roborative d'automne.

Depuis que nous nous connaissons, il est un rituel en partage auquel nous sacrifions avec plaisir ; nous écoutons et commentons des disques, comparant les différents interprètes de tel ou tel Scriabine (impossible de départager Gilels et Richter ; ce n'est pas faute d'avoir essayé !) ou se faisant découvrir mutuellement quelque rareté : au début -tout fraîchement arrivé à Paris-, c'est moi qui menais le bal ; les choses ont bien changé, l'ami B. voyant sa passion pour la musique (la bonne) s'enrichir de jour en jour ; allez, j'en suis un peu fier : on peut transmettre sans forcément donner des cours et leçons.
Lundi soir, petit débat sur Pogorelich dont on a écouté un vieil enregistrement DG, du temps où il était jeune et beau : sur la pochette, on voit plus un danseur russe qu'un pianiste.
"Pogo", comme l'appellent les mélomanes un peu snobs, y joue la Sonate "funèbre" de Chopin comme personne avant lui ; ce n'est pas pour ça que c'est mieux ; non, c'est particulier, avec un staccato un peu précieux dans le premier mouvement qui m'a un peu déplu.
Nous nous sommes rappelés la sentence impitoyable de notre cher Richter, qui descendit en flèche l'interprétation de la sixième Sonate de Prokofiev (que j'appelle "Proko" en mélomane snob) par le même pianiste.
Pogorelich, l'ami intime de Martha Argerich, est décidément tout sauf consensuel.

Nous avons évoqué aussi, parenthèse joyeuse, une anecdote du temps où les "cacous" avaient fait de mon studio antibois un refuge : éclats de rire, tape dans la main ; un esprit aiguisé peut faire vaciller bien des préjugés ; j'y excellai à une époque, et peut être encore un peu de nos jours quand on sait m'intéresser.


Nous avons écouté aussi du jazz (là, B. a une bonne longueur d'avance sur moi), Thelonious Monk (sans doute mon préféré), Bill Evans (bien sûr !), et toujours par le biais de disques noirs dénichés à la Dame Blanche, d'une qualité exceptionnelle qui vous met le CD, et encore plus le MP3, au rang de musique pasteurisée sans âme véritable.
Plus j'avance dans la vie, plus je me sens éclectique ; ainsi, un autre ami me conseille dans le domaine du baroque avec justesse car on croit toujours tout savoir : maintenant, dans Bach, Isabelle Faust enchante mes matinées.

Avec une jeune amie hier soir, j'évoquais ce récital de Paul Lewis à la Fenice : entre Mozart et Schubert, ce disciple de Brendel me révéla Ligeti que je dédaignais jusqu'alors.
Il n'est pires ennemies de nous-même que nos certitudes.

...on voit plus un danseur russe qu'un pianiste.

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