Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mardi 20 mars 2012

CLOCLO : et ainsi naquit le bling-bling (?)

1969 : Photo Jean Loup Sieff
Dans ma plus tendre enfance, j'adorais me trémousser sur "J'attendrai" ou "Reste" (chanson réhabilitée dans le film de F.E Siri), ignorant totalement que ces chansons venaient d'outre-Atlantique, leur interprète ayant un talent certain pour dénicher dans le catalogue de la Tamla Motown quelques perles rares susceptibles d'être adaptées chez nous.
Claude François, pour nous, jeunes gens bien élevés, et par opposition au "voyou" Johnny, c'était le minet-type, prescripteur en matière de fringues (à cette époque, on y engloutissait nos économies, car les smartphones et les McDo n'avaient pas encore déferlé sur les jeunes consommateurs, premières proies visées


par les faiseurs de tendances), toujours tiré à 4 épingles, propre sur lui, "classieux", quoi.
Le gars dansait formidablement bien (en tout cas bien mieux que son clone Jérémie Rénier, bon acteur mais piètre danseur malgré le "coaching" dont la promo nous rebat les oreilles).
Le CloClo à col pelle-à-tarte et costumes à paillettes qui survint au tournant des années 70, n'eut pas en moi le même écho, même si je lui gardais mon estime, ma fidélité.
Le stupide accident qui causa sa mort en fit, que l'intelligentsia le veuille ou non, un mythe, à l'instar d'un James Dean, d'une Marylin également fauchés très tôt, immuablement "jeunes".
Il était donc fatal qu'un jour lui soit dédié une biographie cinématographique.
La tâche était ardue, dont Florent-Emilio Siri s'acquitte plutôt bien, sachant que les fils de l'idole ont coproduit le film et qu'il n'était pas aisé d'en éviter les écueils avec de tels gardes-mythe : Siri parvient, malgré l'épée de Damoclès filiale, à instiller dans son film des allusions au caractère despotique  d'un saltimbanque qui se voulut "self made man", loué récemment à la télé par Séguéla  -quel cadeau !-, qui le compare à... Nicolas Sarkozy.
On appréciera le compliment !

Jérémie Rénier
"CloClo" suit la chronologie d'un destin particulier, qui fait d'un fils de notable ruiné l'homme aux 64 millions de disques vendus à ce jour.
Après un début plan-plan qui relève plutôt du téléfilm de luxe ou d'un mélo d'Alexandre Arcady (autre "compliment"), le film trouve enfin son rythme avec la narration d'une ascension vers les sommets, les déboires sentimentaux (Bécaud lui pique sa première épouse), la relation avec France Gall où le bonhomme se révèle particulièrement odieux, le succès tant espéré venant avec "Belles, belles, belles" puis l'obsession de se maintenir au faîte de la gloire. Le modèle absolu, pour le jeune Claude, c'est Frank Sinatra (dit "The Voice"), qui ne fut pas qu'un personnage trouble en accointance avec la pègre : non, "Frankie" mérita bien son surnom et reste encore aujourd'hui un chanteur majuscule.
Extraordinaire hasard de la vie, c'est le même Sinatra qui fera d'une chanson française, "Comme d'habitude" un succès planétaire qui demeure la chanson la plus jouée dans le monde au jour d'aujourd'hui, ce qui n'est pas rien.
C'est la "reprise" par le crooner américain qui nous vaut ce qui, à mon sens, est la plus belle scène du film de Siri, celle où l'on apporte au "petit français" le "disque souple" de la version de la star U.S.
Il y a d'autres scènes fortes dans "Cloclo", qui échappe, reconnaissons-le, à l'hagiographie, après, on peut l'imaginer, d'âpres négociations avec les héritiers du chanteur blond.
Ainsi, le "sale caractère" du "sale bonhomme" est évoqué (pas trop méchamment il est vrai), notamment dans les scènes où on le voit, dictaphone en main, émettre des notes de service comminatoires à l'attention de ses employées-fans ; car l'homme veut être adulé et s'entoure d'admiratrices qu'il peut tailler et corvéer à merci.
La suspicion d'homosexualité ayant collé à ses basques tout au long de sa carrière (le torchon d'extrême- droite "Minute" répandit à l'époque une ignoble rumeur, relayée par tous ceux qui le détestaient), le film nous montre qu'au contraire, l'homme était "à femmes" et aimait à courir le guilledou. On en fait même un peu trop, à mon avis, en la matière, en allant jusqu'à le dépeindre comme un obsédé sexuel (de gent féminine s'entend). Était-ce bien utile, sachant qu'il n'y a pire aveugle que qui ne veut voir ?
Pour parler cinématographie, après le début que je décris plus haut, on a quelques bonnes surprises, dont un fort bien venu plan-séquence au Moulin, au terme duquel on découvre "l'enfant caché" du "héros" observant une garden-party dont il est exclu.
Il y a d'autres moments forts qui placent le film nettement au-dessus des "biopics" (!) récents, dont "La Môme" ou le Coluche d'Antoine de Caunes : notamment, l'une des toutes dernières scènes, filmée au Royal Albert Hall à Londres, superbement mise en scène, qui peut laisser penser que Florent-Emilio Siri peut, un jour, si la vie lui en donne l'opportunité, réaliser un vrai grand film de cinéaste libre.
Quant au drame final, Siri évite, là aussi, l'écueil du pathos, nous sauvant du moment fatidique par une idée judicieuse de mise en scène.
Le mélange de documents d'époque et de fiction lors des obsèques est également du meilleur aloi.
Quant aux toutes dernières images, qui précèdent un beau générique de fin où l'on découvre un "Alexandrie Alexandra" ripoliné, elles concluent joliment un film rythmé (mission normale accompli) qui n'engendre, en près de 2h30, aucun moment d'ennui, ce qui semblait relever de la gageure.

Monica Scattini
On a beaucoup parlé de l'interprétation de Jérémie Rénier dans le rôle-titre : effectivement, la plupart du temps, le jeune acteur est d'une justesse sidérante, s'identifiant à son personnage, s'impliquant à fond dans cette mise en abîme. Seule réserve, mais d'importance, comme écrit plus haut, n'est pas danseur d'instinct comme l'était le blondinet défunt, qui veut, et, malgré l'entraînement intensif, le comédien ne parvient jamais à faire revivre cet aspect essentiel du personnage : il suffit de voir sur youtube l'impeccable "Reste !" avec costume lumineux (prémonitoire) ou le "J'attendrai" d'anthologie avec, excusez du peu, Diana Ross et les Supremes pour s'en convaincre.
En revanche, il faut saluer la formidable prestation de Monica Scattini : l'actrice italienne interprète une "mamma" (Madame François était calabraise) haute en couleurs, pathétique, hallucinante de vérité.
Ana Girardot est également impeccable en Isabelle Forêt (la compagne, mère des deux enfants du chanteur), tandis, qu'à contrario,  Joséphine Japy incarne une France Gall peu convaincante.
Pour qui, comme moi, connaît Paul Lederman, Magimel incarne formidablement l'agent d'artistes le plus matois de la galaxie, personnage passionnant et déroutant s'il en est.

Ainsi conçu, interprété, scénarisé, photographié, le film de M. Siri mérite amplement l'achat d'un ticket de cinéma ; c'est beaucoup !
CloClo : à ne pas dédaigner (pour une fois : même les "Inrock's" applaudissent !).

Jérémie Rénier et Monica Scattini sur le tournage à Monte Carlo
 Années soixante : premières exhibitions de danse.


La "bête de scène": les toutes dernières images sont filmées (document amateur) lors d'un des tout derniers concerts : en avance, lui ?

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