Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

lundi 6 août 2012

Haute fidélité

Ces temps somnolant sont propices à la concrétisation de ces petits projets que l'on faisait en période dite "active". On a tout le temps de faire ce que l'on remettait à plus tard, ces petits travaux destinés à corriger les petites anomalies détectées ça et là quand le regard, oisif, balaie l'univers immédiat. Ici, un bibelot à déplacer, là, une tache sur le revêtement mural, un peu plus loin, une disposition d'objets inadéquate. Dans la catégorie "tâches différées", ma platine Thorens attendait que je veuille bien lui accorder toute l'attention requise. J'ai procédé à un réglage minutieux du bras de ce tourne-disques et calibré correctement la sortie "phono" de mon amplificateur. On sait qu'un véritable audiophile préfèrera le son analogique au numérique. S'il fallait m'en convaincre, l'écoute de la 1ère symphonie de Brahms, hier, via les deux supports, ne laisse subsister le moindre doute : le son délivré par la cellule (Ortofon) de la platine à disques noirs est opulent et précis à la fois, quand celui dispensé par le CD est plus contraint, engoncé, "compact" (et oui !). Les jeunes oreilles ne connaissent que les sons compressés de ces disques précisément compacts, ou, pire, du MP3. Un ami vient de m'offrir quelques disques microsillons à l'état du neuf, dont ces Brahms dirigée, dans les années soixante-dix par un chef prématurément disparu du nom de Istvan Kertesz, dont Georg Solti pensait qu'il serait l'un des plus grands chefs de l'histoire. Les symphonies sont réunies dans un coffret Decca, Kertesz dirigeant le Philharmonique de Vienne quand   cette phalange était à son meilleur.
Le "son Decca", célébré par les amateurs exigeants donne tout son sens au label "Haute Fidélité" apposé, mais en anglais, sur l'image de couverture.

Quand je n'étais encore qu'un jeune élève-pianiste, vers douze ou treize ans, je me rendais régulièrement chez un voisin, vénérable vieillard féru de musique enregistrée, qui m'accordait le privilège d'auditions "au salon" au moyen d'un matériel des plus perfectionnés auquel il consacrait une part non négligeable de sa retraite. Le son, traité par un puissant ampli à lampes, jaillissait de deux imposantes enceintes Cabasse, marque française qui fait encore autorité de nos jours.
Nous nous installions dans les fauteuils Voltaire pour écouter religieusement une œuvre du répertoire.
De temps à autre, l'audiophile, d'un geste de la main, soulignait un passage du morceau, indiquant par là que son installation faisait honneur à tel solo ou tels pizzicati de violons.
Jamais, cependant, il ne se serait levé pour faire réentendre ce qui faisait sa félicité : l’œuvre devrait s'apprécier dans son intégralité, comme au concert.
C'est en lisant les carnets de Sviatoslav Richter que ces moments de grâce me sont revenus : le grand pianiste russe invitait des amis, le soir, à de telles séances.
Après le dîner, tout le monde s'installait confortablement pour écouter des disques, en débattre après l'audition avec le Maître dont on sait qu'il avait la dent dure.
C'était en des temps où la télévision, ce divertissement si ordinaire, n'avait pas envahi les foyers. Je doute même, qu'en nos temps, il l'eût laissée entrer chez lui.
Je me souviens des heures passées, dans ma chambre d'adolescent, à écouter de la musique sur mon électrophone. Je disais alors, car j'étais déjà sinistre, que j'adorais écouter de la "musique en chambre". cette pratique permettait de s'adonner à la lecture, à laquelle, aujourd'hui, la télévision et ses dérivés ne laissent aucune chance.
Sans ordinateur, autre prédateur, je retrouve ces jours-ci ces plaisirs démodés.
Interrompre ma lecture pour aller retourner le disque ne m'irrite pas : je rajeunis. 


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